Bonjour,
Cette semaine, je voudrais vous parler d’édition, et notamment vous expliquer comment se répartit le prix d’un livre entre ses différentes intervenants. Mais avant cela, je voudrais vous raconter une incroyable histoire concernant un livre de cuisine rendu à une bibliothèque écossaise 50 ans après avoir été emprunté. L’histoire est racontée par le journal écossais The Scotsman. Le livre intitulé Mrs Balbir Singh’s Indian Cookery, publié en 1965, est arrivé par la Poste à la bibliothèque de Paisley accompagné d’un mot d’excuse – pour le retard – ainsi que d’un billet de 20 Livres Sterling en compensation. D’après Linda Flynn, la directrice de la bibliothèque (en photo avec le livre), le livre a beaucoup servi avant sans doute d’être oublié dans un tiroir. La morale de cette histoire : pour éviter d’oublier de rendre vos livres de recettes à la bibliothèque, achetez-les plutôt 😉.
Mais revenons à notre sujet : comment se répartit le prix d’un livre. Il faut savoir tout d’abord que le choix du prix appartient à l’éditeur et que ce prix est fixe quel que soit son lieu de vente (c’est la loi Lang).
La TVA sur le livre est de 5,5 % et c’est à partir de son prix public hors taxe que vont se répartir les revenus du livre. Prenons un exemple avec un livre à 21,10 € TTC et voyons comment cela se passe chez Menu Fretin.
Son prix public HT est donc de 20 € (21,10 € / 1,055).
Chez nous, l’auteur touche en moyenne 8 % (cela peut aller jusqu’à 10 % parfois).
8 % de 20 € cela fait 1,60 € par exemplaire.
Le libraire touche 35 % s’il a un droit de retour (en cas d’invendu) et 45 % si c’est une commande ferme. Cela représente donc entre 7 et 9 € par exemplaire. Pour info, la Fnac impose 40 % de remise et Amazon 55 % (c’était un peu moins avant, mais comme le gouvernement a eu la bonne idée de les taxer, le montant de cette taxe a gentiment été basculé sur le pourcentage de remise…).
Chez Menu Fretin, nous sommes auto-diffusés et auto-distribués. Si cela n’était pas le cas, le diffuseur-distributeur prendrait autour de 15-20 % en plus de la marge du libraire, soit un total compris entre 55 et 60 %, soit 11 et 12 €.
Chez nous, le travail de diffusion et de distribution (par la Poste) est internalisé.
Les frais postaux sont en moyenne de 4 € par livre, soit 20 %.
Le poste suivant concerne l’impression et il est très variable en fonction du type d’ouvrage (format, papier, reliure…). Par exemple, l’impression d’un livre de 256 pages en noir et blanc peut revenir à 2,50 € pour 1000 exemplaires (12,5 %) alors que le même livre en couleur reviendrait à 8 € (40 %) l’exemplaire avec un tirage de 3000 exemplaires. Comme vous le voyez, un livre en couleur nécessite un tirage plus important pour avoir un prix unitaire le plus bas possible, ce qui explique que l’investissement reste beaucoup plus risqué en couleur.
Là intervient un élément important qui est la prise de risque. En effet, si la part de l’éditeur est comprise entre 5 et 25 % en fonction du type d’ouvrage et du type de distribution, l’éditeur est le seul intervenant de la chaîne qui ne gagne pas d’argent dès le premier exemplaire vendu mais uniquement une fois que le point mort est dépassé. Ce point mort est atteint lorsque les revenus de ventes auxquels ont aura retranché les frais variables (% de l’auteur et du libraire et les frais de diffusion) auront dépassé les coût fixes (l’impression principalement). Par exemple, pour La Monographie du café dont nous avons tiré 300 exemplaires, le seuil de rentabilité est à 190 exemplaires.
Le prix d’impression était de 1780 € et il n’y a pas de droits d’auteur car ce livre est tombé dans le domaine public. Nous commencerons donc à garder de l’argent avec ce livre à partir de la cent quatre-vingt onzième vente. On compte sur vous 😉!
On le voit, l’édition n’est pas le secteur idéal pour devenir riche – quel que soit notre rôle dans la chaîne du livre –, mais il paraît que le bonheur est ailleurs, comme le confirme à sa manière Groucho Marx : “Il y a tellement de choses plus importantes dans la vie que l’argent, mais il faut tellement d’argent pour les acquérir.”
Une recette
Voici une recette tirée du Carnet d’Anna d’Édouard de Pomiane que nous avons réédité en début d’année. Cette recette d’œufs brouillés au boudin est celle qui personnellement m’a fait le plus envie en lisant pour la première fois ce merveilleux livre. La voici.
Œufs brouillés au boudin
Le frère du Docteur Babinski qui dit qu’on l’appelait Ali-Bab à son École des Mines, m’a donné en échange cette recette.
Boudin noir : 250 grammes
Six œufs
Beurre : 100 grammes
Couper le boudin en tranches de trois centimètres. Les faire sauter à la poêle dans du beurre très chaud. Laisser la poêle sur un tout petit feu. Battre les œufs en omelette dans une terrine. Saler. Dans une casserole, mettre la moitié du beurre qui reste. Couper l’autre moitié en petits morceaux, le mettre de côté. Chauffer la casserole, faire fondre le beurre, verser les œufs. Chauffer à petit feu, en mélangeant.
Ça commence à épaissir. Ajouter les morceaux de beurre. Mélanger au fouet à mesure que ça cuit. Les œufs sont presque à point. Éloigner la casserole du feu. Mélanger. Vider sur un plat tiède. Écarter les œufs, au centre, et y mettre les rondelles de boudin chaud.
C’est très bon. Si jamais les œufs avaient reçu un petit coup de feu et n’étaient plus baveux… vite, vider un œuf dans un bol, le battre en omelette et le mélanger, au fouet, avec les œufs cuits. C’est un truc de Mademoiselle Fumal.
Un exquis mot
La définition de cette semaine est extraite du Dictionnaire universel (1702) d’Antoine Furetière. Il y est question – comme par hasard – de livre et de cuisine. Vous pourrez la retrouver dans le prochain numéro d’Agueusie à paraître à la rentrée. Si vous êtes abonné bien sûr.
Oreille
subst. fém.
Se dit aussi du bord replié d’un livre, quand on veut y faire quelque marque pour retrouver aisément quelque endroit singulier, ou l’endroit où l’on en est demeuré en le lisant. Cela arrive aussi aux livres fripés, qu’on a beaucoup manié avec peu de soins.
Oreille est aussi un terme d’emballeur, qui se dit du coin de la toile qui enveloppe un ballot, et que l’emballeur laisse en forme d’oreille, afin que par cette oreille on puisse prendre le ballot pour le remuer. […]
On appelle en terme de blason oreilles, deux petites pointes qui sont au haut des grandes coquilles, comme celles de St Jacques.
On appelle oreilles d’abricots, des abricots confits dont on a ôté les noyaux, et dont on a rejoint les deux moitiés, en sorte que l’extrémité de l’un n’aille qu’au milieu de
l’autre ; ce qui représente une espèce d’oreille.
Oreille se dit aussi parmi les jardiniers des deux premières feuilles qui sortent des graines fermées, et qui sont différentes de celles qui viennent après. Les bras qui sortent des oreilles de melon ne valent rien. On peut planter les petites laitues dès qu’elles ont les oreilles un peu grandes. La Quint. […]
On dit aussi qu’un ventre affamé n’a point d’oreilles ; pour dire, qu’on n’écoute aucunes remontrances, quand on est pressé de la faim. On dit qu’un homme a mangé de la vache, que les oreilles lui cornent ; pour dire, qu’il n’entend pas bien ce qu’on lui dit. […] On appelle vin d’une oreille, le bon vin ; et vin de deux oreilles, le mauvais.
Des nouvelles des petits fretins
À Chartres tout se passe bien, nous évitons les coups de soleil (rares) et les coups de tonnerre en vous préparant quelques beaux ouvrages pour la rentrée. D’ici là, vous pouvez écouter les prochains épisodes de Radio Cuisine – podcast qui donne à réentendre les chroniques radiophoniques qu’Édouard de Pomiane présentait sur Radio Paris entre 1923 et 1929. Il y sera question d’un déjeuner au bord de mer (demain) et de cuisine franc-comtoise.
Pour finir, une petite citation de Jules Renard, notre maître à tous :
“L’espérance, c’est sortir par un beau soleil et rentrer sous la pluie.”
Voilà, c’est tout pour cette fois.
À la revoyure !
Laurent, poisson d’eau douce chez Menu Fretin