Le café arabe, mémoire ottomane

“Une seule cuillerée de café moulu, magnifié par le parfum de la cardamome, mise à flot, lentement, dans les frissonnements de l’eau chaude.” 
Mahmoud Darwich, in Une mémoire pour l’oubli, Actes Sud, 1997.

par Claire Bastier

Dans son atelier-boutique du quartier chrétien de la vieille ville de Jérusalem, Murad prépare le café plusieurs fois par jour. Pour lui, pour ses collègues des boutiques voisines et pour les clients. À chaque fois, ce sont les mêmes gestes : mélanger l’eau chaude, le sucre et le café moulu, acheté au souk, dans un petit pot en cuivre. Il allume ensuite son chalumeau, celui qu’il utilise dans son travail d’orfèvre. La longue flamme chauffe le fond du pot et le café frémit doucement à l’intérieur. Puis la surface brune s’épaissit et quelques bulles remontent. Une main sur la poignée du récipient, Murad retire avec l’autre le chalumeau avant l’ébullition complète. Puis il approche à nouveau la flamme et le frémissement reprend. Il répète son geste encore deux fois : le café prêt, il est versé noir, encore fumant, dans les petites tasses devant lui. Fadali, sers-toi. Il est 11 heures du matin dans le souk et seuls quelques touristes et pèlerins flânent dans les allées couvertes.

Autour du café dit turc ou arabe, toute une tradition s’exprime ici à Jérusalem, intégrée à l’Empire ottoman en 1517, et les éléments nécessaires à sa préparation sont immuables. D’abord, son contenant, un petit pot en fer-blanc ou en cuivre, ghalay en arabe. Ensuite son odeur : dans le souk, celle des grains tout juste torréfiés s’échappe et envahit les ruelles alentour. Finement moulu, ce même café, mélange issu de plusieurs variétés d’Arabica, exhale dans l’eau chaude ses effluves envoûtants. 

 

Selon l’épicier de Ramallah, Eyal Khalaf, la finesse de la mouture détermine le goût et l’arôme du café. La quantité de sucre ajouté convoque un lexique spécifique en arabe : du café saada (sans sucre) au hélou (sucré), en passant par le sukar allel (avec une cuillère de sucre), le sukar wasat (deux cuillères) ou encore le sukar addi (normal). 
Le café est offert aux hôtes de passage, mais pas toujours à leur arrivée. C’est lorsqu’ils s’apprêtent à partir ou lorsque la rencontre dure, qu’il est alors aussi proposé.

« Tout est dans la cuisson, explique Murad ; à feu doux, idéalement très lentement. » Un savoir-faire dans lequel excellent les Bédouins, dont le café saada, aromatisé de cardamome, gingembre, noix de muscade et clous de girofle, reste des heures durant sur les braises. Mais surtout, la spécificité du café arabe réside dans sa préparation manuelle qui rend donc le geste très personnel. Ainsi, « aucun café ne ressemble à un autre, et chaque maison, chaque main, possède le sien », a résumé Mahmoud Darwich. Avant d’en conclure qu’il peut « juger d’un homme, pressentir son élégance intérieure, à l’aune d’un café qu’il [lui] offre. »

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