Par Nicolas Chatenier
Article publié dans Gastronomie Magazine N°15 de mai 2013
Comme chaque année à pareille époque, le classement des 50 meilleurs restaurants du monde publié par le magazine anglais Restaurant provoque en France son lot de critiques, dénonçant le manque de fiabilité de ce classement et l’inutilité manifeste de cette initiative. Pourtant, ceux qui ont assisté à la soirée de lancement du classement dans le majestueux Guildhall à Londres ne peuvent qu’être frappés par l’ampleur prise par l’événement ; l’unité de mesure de cette ampleur étant, comme pour tout événement gastronomique, le nombre de chefs présents. Leur présence fait le succès de la soirée et marque l’importance prise par ce classement qui en est désormais à sa 11e édition. En sachant que les chefs voyagent à leur frais pour se rendre à Londres et assister à la soirée, la réussite est évidente : certains chefs avaient traversé la planète pour être présent (Daniel Patterson venu de San Francisco, Gaston Acurio de Lima, Paul Pairet de Hongkong notamment). Seul Alain Ducasse avait réussi à faire mieux en réunissant 250 chefs à Monaco en novembre dernier.
Au-delà de leur présence, il faut aussi évoquer à quel point ces professionnels semblent prendre la soirée au sérieux. L’événement prend un air de célébration festive et ressemble à s’y méprendre à la clôture du festival de Cannes ou à la remise des Oscars à Los Angeles. Les chefs américains, plus formels, ou même l’Espagnol Joan Roca, nouveau numéro un mondial, arboraient un costume-cravate élégant, à la hauteur du professionnalisme de l’événement.
Cet aspect professionnel, « business » pourrait-on dire, s’exprime partout dans cette soirée. L’équipe du magazine Restaurant démontre, année après année, sa capacité à proposer et présenter une soirée à grand budget, rythmée, réglée à la minute près pour révéler la cuisine mondiale sous son meilleur jour. Cette efficacité marketing fait l’effet d’une cure de jouvence pour les métiers de la cuisine créative, peu habitué à un tel traitement.
Outre les aspects formels, le contenu du classement se distingue par plusieurs forces évidentes : d’abord il est mondial et donne une voix égale aux cuisines du Sud (Mexique, Pérou, Afrique du Sud, Australie), qui ne sont représentées dans aucun autre classement. Or la richesse de ces cuisines n’a aujourd’hui rien à envier aux cuisines du Nord si souvent mises en avant (Europe, États-Unis, Japon). Ensuite, ce classement, à défaut d’être purement objectif, point sur lequel on peut rejoindre les critiques français, propose en définitive une approche fondée sur la réputation et la notoriété, plutôt que sur la prestation culinaire fournie par le restaurant. Sacrilège entend-on crier de part et d’autre en France ! Mais la réputation et la notoriété ne sont-ils pas en définitive les critères primordiaux du choix d’un « grand restaurant » en France comme ailleurs ? Sans les citer, chacun connaît des tables françaises multi-étoilées qui servent une cuisine quelque peu défraîchie et qui pourtant font salle comble jour après jour, sur la base de leur notoriété et de leur image. Il faut accepter ce que la cuisine et le restaurant haut de gamme doivent aujourd’hui à l’image et au marketing avant de critiquer le fonctionnement du classement des 50 Best.
réputation vs prestation
On peut le regretter mais le marketing est aujourd’hui partout dans nos sociétés consuméristes. Le classement des 50 Best, assumant ses valeurs anglo-saxonnes et libérales, est le reflet de l’air du temps dans un monde de communication, entièrement globalisé, qui préfère l’image à la réalité, l’imaginaire à la prestation concrète. Une telle situation n’est peut-être pas souhaitable mais elle s’impose à nous, qu’on le veuille ou non, car les clients des restaurants et les médias fonctionnent aujourd’hui ainsi. Or ce sont eux qui contribuent à l’existence même des restaurants.
Dernier élément de la controverse : nombre de cuisiniers français se sont émus de la place occupée aux avant-postes du classement par le Chateaubriand d’Inaki Aizpitarte. Il y a fort à parier que les questionnements seront aussi nombreux quant à l’entrée dans le classement du restaurant Septime du chef Bertrand Grébaut. Pour ces critiques, le minimalisme des décors fait pencher ces établissements vers des bistrots et le service en salle est trop éloigné des canons traditionnels français pour que leur présence au classement soit logique et légitime. Mais c’est oublié à la fois l’audace, la ténacité, et l’intelligence de ces chefs qui s’échinent à briser les codes, à repenser le restaurant et enfin et surtout à proposer à prix modéré des cuisines brillantes et vives, dans l’air du temps, qui font venir à eux des clients français et étrangers désireux de goûter à leur cuisine. Le classement
50 Best confirme ici son propos : il met en avant les tables qui font le « buzz ». Certes, la terminologie manque d’élégance. Mais dans notre société actuelle, c’est bien le buzz qui fait le business.
le buzz fait le business
Que le classement sponsorisé par San Pellegrino soit ou non légitime à nous parler de cuisine n’y changera rien : comme le monde aujourd’hui, il nous parle de business et d’image. Et ça marche ! Pour preuve : le 25 avril dernier, soit quatre jours seulement avant la publication du classement, ceux qui forment aujourd’hui l’un des couples les plus connus et les plus glamours au monde se sont installés dans la salle de Septime, rue de Charonne, avec leur fille. Ils avaient réservé sous leur nom civil et anodin de Monsieur et Madame Parker. Mais leurs noms de scène sont connus du monde entier : Jay Z et Beyoncé Knowles. Si ce couple mythique choisit de déjeuner au Septime, le désormais 49e restaurant du classement, plutôt que de s’attabler à la Tour d’Argent ou au Grand Véfour, le classement 50 Best conforte
ici sa prescience et sa légitimité. Vivons donc avec notre temps et acceptons le classement des 50 Best pour ce qu’il est.
La Clé anglaise
Géopolitique de la gastronomie française
Nicolas Chatenier
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