Par Laurent Seminel
Article paru dans Gastronomie Magazine N° 18 de novembre 2013
Que retenir de cette première édition des Entretiens de Toury ? Tout d’abord, que la perte d’influence de la cuisine française est un fait irréfutable qu’il faut que chacun intègre. Cette prise de conscience collective est essentielle pour aller de l’avant. Mais attention, cette perte d’influence ne signifie pas que la cuisine française est morte, loin de là. Cela signifie qu’entre la réalité hexagonale et l’image perçue hors de nos frontières, le fossé s’est creusé. Aujourd’hui, après la cuisine espagnole, c’est la cuisine nordique qui occupe le devant de la scène, et bientôt ce sera la cuisine péruvienne, ou peut-être une autre encore. Il ne s’agit en rien de hiérarchiser les cuisines, de juger leurs qualités, de comparer leurs histoires. Non, il ne s’agit que d’influence, de soft power, de quelque chose de complexe à appréhender et à maîtriser mais qui, au final, a de grandes répercussions tant sur l’image d’un pays que sur son économie.
Vous ne croyez pas à l’influence de la cuisine nordique ? Regardez dans les assiettes servies dans de nombreux restaurants français la forte présence de racines, de fleurs, de mousse, etc. C’est l’une des conséquences de cette influence. Cette cuisine naturiste est à la mode. Peu importe que l’on trouve cela bon ou pas, c’est un fait, c’est à la mode.
L’absence de discours clair, à l’heure où d’autres nations ont pris la parole et monopolisent l’attention, est une option que la France ne peut plus adopter. Le monde bouge, les choses changent et la cuisine française continue de se conduire comme si de rien n’était. Nous nous sommes reposés sur nos lauriers et n’avons pas suffisamment pris en compte les nouvelles cuisines émergentes. Sûrs de notre toute-puissance, nous avons lentement glissé de notre piédestal.
Le dédain porté par bon nombre de chefs français au classement des 50 Best en est un bel exemple. Bien sûr que ce classement est discutable par sa méthode et par ses choix. Évidemment ! Mais là n’est pas le sujet – tout classement est par nature subjectif, bancal et discutable. Ce qui compte, c’est l’importance qu’a prise ce classement au niveau mondial. L’enjeu est aujourd’hui mondial. Notre référent – le Michelin – est une institution franco-française ; la nouvelle référence mondiale est les
50 Best. C’est sans doute malheureux, mais il faut faire avec.
Autre point important à prendre en compte : le combat du leadership est un combat d’image, une bataille d’influence. Les nouveaux leaders – Espagnols, Nordiques, Péruviens… – appliquent tous la même méthode. Ils font front commun autour d’un discours simple, lisible et adapté à l’air du temps.
La cuisine française possède intrinsèquement beaucoup plus de richesses, de variétés et de qualités que les autres cuisines, mais aujourd’hui son image est brouillée.
Entre les querelles intestines et l’absence de renouvellement médiatique, il apparaît évident qu’il est temps que la profession s’organise et unisse ses forces pour ne pas subir le changement de paradigme.
La création d’une agence chargée de gérer l’image de la gastronomie française à l’étranger est essentielle. En nous servant de l’expérience et de ce qui a été entrepris depuis des années pour aider le cinéma français, en adaptant ces outils à la gastronomie, nous pouvons mettre en place des solutions efficaces.
Pour être efficace, cette agence ne doit pas être dirigée par un cuisinier, mais par un professionnel de la communication. Claus Meyer, le spin doctor qui a façonné la gastronomie nordique, est certes cuisinier, mais c’est avant tout pour ses talents de communicant qu’il s’est fait connaître. Il ne s’agit pas d’exclure les cuisiniers de cette agence mais juste d’éviter que la nomination de l’un d’eux ne soit perçue par les autres comme une prise de pouvoir des uns aux dépens des autres. Encore une fois, le plus important est de jouer collectif.
Il faut également, pour qu’une telle agence fonctionne, que sa création soit accompagné par une prise de conscience et un engagement au plus haut sommet de l’État ; celui-ci doit être convaincu de l’importance stratégique de la gastronomie dans le redressement du pays. Entre patrimoine et fierté nationale, la gastronomie française est une force dont on ne saurait se passer en ces temps difficiles. Le travail de cette agence sera alors d’identifier et de mettre en avant la pointe créative, comme dit Paul Pairet, de la cuisine française, de définir un discours, et d’accompagner ce discours d’actions à l’international. Il s’agira également d’étudier, sans préjugés, le travail de nos concurrents.
La bataille est loin d’être gagnée, mais, en étant consciente de ses propres forces et de celles de ses concurrents, en adaptant sa stratégie aux nouvelles normes mondiales, la France possède tous les atouts pour retrouver son prestige international et son influence mondiale.
La Clé anglaise
Géopolitique de la gastronomie française
Nicolas Chatenier
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