Clash of Clans : les 100 jours  qui ébranlèrent la gastronomie  française

Par Nicolas Chatenier et Laurent Seminel. Article initialement publié dans Gastronomie Magazine N°25 de janvier-mars 2015.

Ce n’est certes pas encore un tremblement de terre, mais les sérieux mouvements tectoniques qui agitent depuis quelques mois la gastronomie française annoncent sans aucun doute de vaste changements. Petit retour sur la chronologie des faits en 10 épisodes clés.

ÉPISODE 1
Juillet 2014. Reprise de Ledoyen par Alléno. Le pavillon qui donne sur les Champs-Élysées n’est plus que l’ombre de lui-même. Christian Le Squer et le groupe Épicure se séparent sans regret d’un paquebot coûteux et à l’avenir incertain. Alléno baptise de son nom le restaurant qui devient Alléno Paris, Carré des Champs-Élysées. La marque Pavillon Ledoyen est reléguée au second plan.

ÉPISODE 2
8 septembre 2014. Après près d’une cinquantaine de tastings, Alain Ducasse révèle à la presse le décor de Patrick Jouin et la partition exécutée en cuisine par Romain Maeder. Film percutant à l’appui, il expose le concept de la naturalité.

ÉPISODE 3
19 septembre 2014. La commission « gastronomie » du Conseil de promotion du tourisme initié par le ministère des Affaires étrangères se réunit au Plaza Athénée sous la houlette de Philippe Faure. La perte d’influence de la gastronomie française est évoquée à mots couverts, mais des axes de relance sont pourtant ébauchés. Alain Ducasse apporte une solution immédiate avec son projet Good France. L’idée de faire du lancement du Guide Michelin au ministère des Affaires étrangères un événement mondial est lancée.

ÉPISODE 4
20 octobre 2014. Au lendemain des seconds Entretiens de Toury, le ministère des Affaires étrangères publie une liste de vingt propositions pour relancer la gastronomie française. Alain Ducasse, qui prend la parole juste après le ministre Laurent Fabius, apparaît comme le chef d’orchestre de cette stratégie.
En Angleterre, le Daily Telegraph se fera, le 19 décembre, l’écho moqueur de cette « résolution française » : « France is panicking. »

ÉPISODE 5
Autour du 20 décembre 2014. Laurent Plantier quitte le Groupe Alain Ducasse après quinze ans de collaboration. Celui qui fut une cheville ouvrière du développement du groupe cesse brutalement ses fonctions. La séparation est houleuse.

ÉPISODE 6
Janvier 2015. Lors du Sirha, Michael Ellis annonce à Alain Ducasse qu’il n’aura que deux étoiles au Plaza et que Yannick Alléno en décrochera trois.
Alain Ducasse n’est pas présent sur la photo des chefs étoilés lors du dîner en l’honneur de Paul Bocuse. Paul Bocuse est le grand absent de cette édition du Sirha. Son nom et son aura planent sur la compétition qui porte son nom mais pour la toute première fois l’“empereur” de la cuisine française ne foule pas le site d’Eurexpo. Au World Cuisine Summit, Yannick Alleno met une galantine de volaille en bouteille (de Bordeaux) et cette même bouteille dans un écrin sur-mesure de la maison Cartier.

ÉPISODE 7
Janvier 2015 toujours. La France se prend une belle déculottée au Bocuse d’Or. La Norvège, les États-Unis et la Suède sont sur le podium. La France n’est que 7e. La présence des anciens gagnants français de la compétition et de tout l’aréopage de la cuisine française n’aura pas suffi. Le résultat confirme amplement la suprématie nordique sur la cuisine mondiale, qu’elle soit créative ou classique. Pourtant, qui oserait évoquer, dans les allées du Village des Chefs, le déclin culinaire français ?
Heureusement, le magazine Le Chef révèle un classement mitonné par ses soins à la gloire de la cuisine française.

ÉPISODE 8
29 janvier 2015. Dans un article du Nouvel Observateur intitulé « Le ministère des Affaires culinaires », Yannick Alléno déclare : « Tout ce qui marche aujourd’hui à l’étranger est né en France : les légumes c’est Passard ; la cueillette, c’est Bras ; la sauce, c’est Alléno. » Épaulé par son associée Florence Cane, il s’installe comme le héraut assumé d’un clan déterminé à se faire une place de choix sur la scène culinaire française.

ÉPISODE 9
Le 2 février 2015. Le Guide Michelin annonce sous les lustres et les ors du ministère des Affaires étrangères son palmarès 2015. Les Meilleur (père et fils) et Yannick Alléno décrochent trois étoiles, alors qu’Alain Ducasse doit se contenter de deux au Plaza.
Les résultats étant annoncés le matin, la soirée est sans objet. Imaginons une cérémonie des Oscars dont on connaîtrait les résultats à l’avance. Les retombées dans la presse étrangère sont quasi nulles.

ÉPISODE 10
Février 2015. Joël Robuchon est nominativement accusé de violence en cuisine par un ancien collaborateur. Le Collège culinaire s’interpose et apporte son assistance à une communication faible et à contretemps.

CONCLUSION
La succession d’événements cités ici donne à voir une cuisine française qui préfère le repli sur soi à l’aventure globale. La cuisine française en mal de posture adéquate et rongée par des années de guerres picrocholines est gentiment en train de laisser passer la vague. Le paysage culinaire français aura beau se réunir en collège, s’arcbouter sur un guide rouge par trop discret et conservateur, se complaire en rivalités personnelles et enfin s’auto-féliciter d’une vitalité plus qu’illusoire, elle s’offre au monde tel un disque rayé à force de trop tourner sur lui-même.
« Un problème sans solution est un problème mal posé », écrivait Albert Einstein. La solution est pourtant parfois juste devant nos yeux.

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