« Pendant des siècles en Europe et ailleurs, les femmes étaient préposées à sa fabrication. La pâte pétrie gonflait sous des linges, voire sous les draps du lit familial, avant d’être façonnée et transportée jusqu’au four communal pour y être cuite. En devenant une activité artisanale et commerciale, la boulange changea de genre : le métier de boulanger devint l’affaire des hommes. »
par Claire Bastier
Quatre années après l’ouverture de Dame Farine, Marie-
Christine en tire un bilan mitigé. Son aspiration à avoir son propre lieu, pour y épanouir sa vocation boulangère, se heurte au réel de toute activité commerciale : administration, gestion du personnel, approvisionnement et entretien du fournil. Ces activités l’éloignent de la production.
Aujourd’hui, « faire du pain occupe une infime partie de mon travail », regrette-t-elle. Au fournil seul, les sensations reviennent et son esprit s’apaise : au pétrissage, elle respire l’odeur de la pâte crue, avant d’en apprécier la douceur. Le processus de la cuisson la fascine toujours autant : « j’adore le moment où je vois le pain gonfler dans le four, avant qu’il ne colore. S’il n’y a pas de pain plat, je me dis que ma fournée est réussie. J’aime aussi sortir le pain du four : son odeur, l’entendre craquer… je ne m’en lasse pas ».
Son chiffre d’affaires est donc le fruit de ce travail manuel quotidien. « En comptant ma caisse le soir, je me dis que chacune des pièces, c’est grâce à mes mains que je les ai reçues. Avec de la farine, de l’eau, un fournil et tes deux mains, tu as amassé quelques centaines d’euros en fin de journée. Je maîtrise ce gagne-pain, je ne suis pas le jouet d’une grande entreprise où ce que tu fais n’a pas spécialement de sens. »
Littéraire et féminine, Marie-Christine ne se proclame pas pour autant féministe. À ses débuts en boulangerie, elle a évolué dans l’univers traditionnel de la boulangerie en France, encore très masculin, voire machiste. « Dans ce milieu, le problème n’est pas tant les hommes que le manque d’études, de culture, de politesse et de sensibilité, nuance-t-elle. Ce serait pareil avec des femmes. Souvent les boulangères qui se lancent aujourd’hui sont en reconversion, elles ont fait des études et ont travaillé ailleurs. Le métier de boulanger n’est pas seulement une question de technicité. L’éducation, un questionnement spirituel et philosophique peuvent apporter quelque chose d’autre ». Comme un supplément d’âme.
Une tendance de fond
Ces témoignages glanés ici et là indiquent une tendance qui se dessine progressivement : un retour des femmes au pain alors que le savoir-faire s’est professionnalisé. Véronique Mauclerc a été une des pionnières en la matière en reprenant en 2007 une boulangerie à four à bois près des Buttes Chaumont à Paris.
En septembre 2017, elle a cédé son enseigne à la Maison Poilâne que dirige la jeune Apollonia Poilâne, fille du célèbre boulanger Lionel Poilâne mort accidentellement en 2002 avec son épouse. En France, les artisans boulangères représentent toujours un faible pourcentage de la profession (moins de 5 %), l’évolution est néanmoins sensible. Parmi elles, les reconversions ne manquent pas. Chacune choisit alors son rythme et une forme de commercialisation. « Artisan à sa manière », Solenn Goujon est une d’entre elles. Paysagiste, elle décide en 2015 de passer au pain et ouvre la Boulange rieuse à Saint-Nazaire. Deux jours par semaine, elle prépare ses pains au levain cuits au four à bois. Les clients viennent en fin de journée chercher leur commande. Mère de deux enfants, Solenn s’est organisée ainsi pour échapper à toute routine et au stress des fournées quotidiennes.