Le pain, premier protagoniste à faire son apparition sur la table du restaurant, ne la quittera plus jusqu’au dessert. Force est de constater qu’il ne mérite pas toujours cette place de choix : il est des établissements où il est simplement mauvais, ceux où il est coupé trop tôt en début de service, ou encore ceux où il est prodigué au compte-gouttes !
par Laurent Feneau
Un repas gastronomique accompagné d’un bon pain gourmand est-il un plaisir interdit ? Le pain serait-il l’ennemi juré de la cuisine ? Ne serait-il là que pour « bourrer » le convive et le rendre indisponible aux vrais plaisirs de la chère ? Certes, on a pu entendre des chefs le honnir – voire le bannir de leur table –, mais il faut se garder de noircir le tableau car ils sont toujours plus nombreux à en faire un atout, un gage de qualité bien affirmé. De plus en plus d’entre eux fabriquent leur propre pain, à l’exemple de Sébastien Bras. « Gamin, lorsque j’étais chez mes grands-parents, il y avait une grande table où toute la famille prenait ses repas.
À son extrémité, il y avait un tiroir avec une énorme miche de pain que mon grand-père tranchait pour toute la famille. Il y avait toujours plein de miettes au fond du tiroir que je venais picorer régulièrement entre les repas. Pour moi, le pain est demeuré un élément central de tout repas, quel qu’il soit. »
Une filière de plus en plus qualitative
Le pain fait maison est également le choix fait par Alain Ducasse et Romain Meder au Plaza Athénée. Ils complètent, par ailleurs, leur corbeille avec le Pain des amis de Christophe Vasseur et le pain de riz et de sarrasin, sans gluten, de la maison Chambelland. « Pour moi, le pain ne doit pas être uniquement le support de dégustation d’un repas ou d’une assiette », décrit Romain Meder. « Il doit être lui-même objet de gourmandise. » C’est cette même philosophie qui a notamment conduit Samuel Nahon et Alexandre Drouard, distributeurs engagés de Terroirs d’avenir, à ouvrir une boulangerie destinée aux particuliers mais aussi à quelques restaurants. « Un repas dans un restaurant trois étoiles peut être gâché par un pain qui n’est pas au niveau », se rappelle Samuel Nahon.
« Les restaurateurs avec lesquels nous collaborons sont exigeants sur l’origine des produits qu’ils travaillent. Il est juste cohérent que cette traçabilité concerne également les céréales du pain qu’ils servent. » Résultat, ils utilisent des farines biologiques, issues de blés anciens, moulues à la demande sur meule de pierre Astrié. Il s’agit là d’un produit d’exception. Cependant, force est de constater que, s’il est devenu moins rare de trouver du bon pain, c’est aussi parce que l’ensemble de la filière s’est volontairement engagé dans une logique qualitative.
Depuis plusieurs années, les meuniers produisent plus volontiers des farines à fort taux d’extraction : 80 % ou plus. Celles-ci permettent de conserver une partie du germe et de l’enveloppe, et donc l’assise protéique du blé. Au final, elles garantissent un apport supérieur en minéraux, fibres et vitamines par rapport au pain blanc habituel. Car la farine est bel et bien l’élément clé d’un bon pain. « Nous utilisons une farine de blé intégrale, pauvre en gluten et donc plus difficile à travailler », décrit Sébastien Bras. « Mais le jeu en vaut la chandelle car c’est un pain magnifique avec une belle couleur brune et de larges alvéoles; il apporte beaucoup de saveurs et de textures au cours du repas. » Outre leurs qualités gustatives et organoleptiques, les farines qualitatives et les pains qui en résultent présentent l’avantage non négligeable de moins sécher et de limiter les pertes. On ne peut, en effet, pas faire abstraction du fait que le pain n’étant pas vendu par les restaurateurs, ceux-ci soient amenés à calculer minutieusement les frais engagés. Or, les gros pains à la coupe comme ceux proposés par Terroirs d’avenir – avec leur farine biologique et une bonne maîtrise du levain –, se conservent sans problème deux ou trois jours et ne finissent pas le soir à la pou- belle comme une baguette blanche ordinaire. « Un pain de qualité doit proposer un peu d’acidité, la pâte doit être un peu fermentée avec une mie bien alvéolée. En surface, la croûte doit être bien dorée et chantante au toucher », décrit Romain Meder. Si l’on en croit la tendance actuelle, les croûtes n’ont pas fini de chanter sur les tables. Et nous avec !